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Au monastère, à quelques kilomètres de la route de Jéricho, Cindy se remettait de ses émotions. En cessant peu à peu de ne penser qu’à elle-même, elle finit par se rendre compte que Thierry Morin souffrait beaucoup et que ses apprentis ne faisaient rien pour l’aider.

— Il a été empoisonné par la reine des Dracos, expliqua Darrell.

— Elle a utilisé une substance toxique qui dégrade son corps à petit feu, ajouta Neil.

— Est-il en train de mourir ?

Les jeunes Nagas hochèrent la tête en même temps à l’affirmative.

— Mais je terminerai leur formation avant de m’éteindre, affirma Thierry d’une voix faible. Je suis beaucoup plus fort lorsque je ne saute pas de repas.

L’incident des soldats dans la cour avait considérablement perturbé leur horaire habituel et retardé le moment de la journée où ils absorbaient de la nourriture ou du sang. Darrell s’empressa de tendre une gourde à son mentor, qui en but tout le contenu à petites gorgées.

— Que devrions-nous lui offrir à manger, maître ? demanda Neil, incertain.

— Tant qu’elle n’aura pas accepté sa véritable nature, il faudra lui trouver de la nourriture que mangent les humains, répondit Thierry.

— Nous serons de retour avant le coucher du soleil.

Neil sortit le premier de la pièce, immédiatement suivi par Darrell.

— Où vont-ils en trouver, au beau milieu du désert ? s’étonna Cindy.

— Ils sont plus débrouillards que je ne le souhaitais, soupira Thierry. Ils approchent les tribus nomades sans la moindre appréhension en risquant du même coup de devenir la cible de Dracos plus expérimentés qu’eux. Mais il faut bien que jeunesse se passe, n’est-ce pas ?

— Je ne saisis pas votre relation, à tous les trois…

— Neil et Darrell sont mes jeunes frères et des jumeaux, de surcroît, un autre cas très rare chez les Nagas. Si les choses s’étaient passées autrement pour moi, je ne les aurais jamais connus, car un mentor ne forme qu’un apprenti à la fois avant de l’envoyer traquer de par le monde. Mais lorsque j’ai été fait prisonnier par les Dracos, à Montréal, mon maître est venu à mon secours et, à l’époque, il avait commencé à entraîner les jumeaux. Ils ont donc participé à mon sauvetage. C’est de cette manière que j’ai fait leur connaissance.

— Ils ont choisi de rester avec vous plutôt qu’avec lui ?

— Les Nagas sont très loyaux. Ils ne quittent leur mentor que lorsqu’ils sont prêts à chasser par eux-mêmes ou à la mort de ce dernier. Notre maître commun a été tué par l’un de nos ennemis, il y a quelque temps.

— J’en suis désolée…

— J’ai entendu les chants funèbres de ses jeunes élèves comme à peu près tous les Dracos qui vivent à Jérusalem, et je les ai retrouvés avant qu’ils ne se fassent dévorer.

— Et ils sont restés avec vous.

— Neil est prêt à traquer, mais pas Darrell. Cela m’a convaincu de les garder auprès de moi pour achever leur formation.

— Dans cet état ?

— Ils sont suffisamment habiles avec leur katana pour que je les guide uniquement par des conseils.

— Seront-ils bientôt prêts à partir ?

— Encore quelques semaines, et ils seront de redoutables varans.

— Mais lorsqu’ils se mettront à chasser, vous vous retrouverez seul ici…

— Je n’en ai plus pour longtemps.

— À cause d’une vieille chipie qui n’a rien de mieux à faire que de détruire la vie des gens.

— Les Dracos et les Nagas sont des ennemis jurés depuis la nuit des temps. Ils agissent selon leur nature respective.

Depuis qu’il avait avalé tout le contenu de la gourde, il semblait reprendre des forces.

— C’est de l’eau ? demanda Cindy.

— Non. Si tu en veux, celle de la fontaine est potable.

— C’est le sang des soldats, n’est-ce pas ? fit-elle avec une grimace.

— Je suis ainsi fait, je suis désolé.

Elle sortit du bâtiment en pierre sans faire de commentaire et alla se désaltérer à la fontaine. Il n’y avait plus aucune trace du combat sur le sable de la grande place. En s’aspergeant le visage, Cindy se demanda combien de reptiliens vivaient sur Terre en empruntant des apparences humaines. La base de données de Vincent ne mentionnait aucun chiffre.

Les Nagas comme Thierry ne semblaient pas leur vouloir de mal. Leur fonction était de tuer d’autres reptiliens. Mais qu’en était-il de toutes les autres races ? Pour contenter sa curiosité, la jeune femme retourna à l’intérieur, où il faisait plus frais, et reprit place près du varan.

— Les Nagas sont-ils les seuls reptiliens à ne pas s’attaquer aux humains ? demanda-t-elle.

— Non. Les races inférieures comme les Neterou et les Cécrops, lorsqu’elles n’y sont pas contraintes par les Dracos, ont des vies tout à fait ordinaires.

— Mais les autres se nourrissent de chair humaine, n’est-ce pas ?

— Pour la plupart, mais surtout les Dracos. Les Nagas et les Anantas préfèrent le sang.

— Vous dites que je suis une Naga, et pourtant, j’ai très peur du sang.

— Que t’ont probablement transmise tes parents humains. En passant, arrête de me vouvoyer. Dans un ancien monastère, au milieu du désert, je pense qu’on pourrait laisser tomber les conventions.

— Bon, d’accord. Es-tu vraiment un policier du Vatican ?

— Non, mais comme bien des traqueurs avant moi, j’ai été formé sous cette magnifique cité. Grâce aux contacts de mon mentor, je pouvais personnifier à peu près qui je voulais, afin de m’approcher de mes cibles.

— Tu ne tues donc pas n’importe qui, n’importe comment ?

— À moins d’être attaqué à l’improviste par un ennemi, non. Mes cibles m’ont toujours été indiquées par les glandes des Dracos que je venais de tuer, bien que parfois mon mentor recevait de ses supérieurs l’ordre de tuer quelqu’un sans l’avoir vu dans une glande.

— Quelle glande ?

— Elle se situe ici, fit Thierry en frottant le bout de son index sur son front, et elle contient tout notre savoir. Mais il faut être reptilien pour pouvoir en extraire quelque information que ce soit.

— Ton monde est terrifiant, mais il est aussi fascinant.

— C’est aussi le tien, Cindy.

La jeune femme ramena ses jambes jusqu’à sa poitrine, les entoura de ses bras et appuya son menton sur ses genoux.

— J’ai vécu une bien curieuse expérience la veille de notre marche sur la route de Jéricho, avoua-t-elle.

Elle raconta à Thierry qu’elle s’était mise à voir dans le noir, et que tous les sons lui avaient semblé amplifiés. Le sourire sur le visage du Naga lui fit comprendre qu’il s’agissait de facultés qui n’étaient pas humaines.

— J’ai aussi vécu quelque chose de vraiment étrange en arrivant à la falaise, lorsque les soldats me poursuivaient. J’ai reculé et en arrivant contre le mur, j’ai basculé dans un autre monde où il faisait noir et froid.

— Les Nagas ont l’extraordinaire pouvoir de traverser la matière et même de s’y mouvoir.

— Je suis entrée dans le mur ? s’étonna Cindy.

— Qu’est-il arrivé, ensuite ?

— Je me suis retrouvée dans l’étroit couloir qui mène jusqu’à ces bâtiments.

— Alors, sans le savoir, tu as spontanément marché à travers la falaise, tout comme tu as instinctivement manié le sabre.

— Je ne comprends toujours pas comment j’ai pu décapiter tous ces hommes en quelques secondes, alors que je n’ai jamais touché une épée de ma vie.

— Comme je te l’ai expliqué tout à l’heure, les Nagas sont le produit de milliers d’années de manipulations génétiques. Nous sommes programmés dès notre naissance pour devenir des assassins. Nos mentors ne sont là que pour nous inculquer les valeurs qui doivent diriger nos vies et pour nous montrer comment utiliser toutes les armes existantes pour faire notre travail. Il est toujours souhaitable de procéder à une exécution avec un katana, mais quand il est impossible de faire autrement, il faut prendre ce qui nous tombe sous la main.

— J’ai déjà été enlevée par des reptiliens et je ne les ai pourtant pas combattus.

— Avais-tu eu des rapports sexuels avec tes ravisseurs ?

— Certainement pas ! Je serais incapable de coucher avec un homme que je n’aime pas !

— C’est souvent ainsi que les femelles découvrent qu’elles sont reptiliennes.

— Donc, au lieu de me teindre en brune, tout ce que j’avais à faire pour les tenir à distance, c’était de trouver un petit ami reptilien ?

— De la même race que toi, par contre.

— Cael… Y a-t-il dans le monde beaucoup d’autres femmes dans ma situation ?

— Tu es un cas exceptionnel chez les Nagas, mais un grand nombre d’individus sur cette planète ont en effet quelques gouttes de sang reptilien dans les veines à cause d’un lointain ancêtre. Il est également arrivé, en de rares occasions, qu’une femme pourtant humaine à première vue, se transforme en reptilienne après avoir donné naissance à l’enfant d’un Anantas ou d’un Dracos.

— Donc, cela pourrait arriver à Océane ?

Thierry ne répondit pas et détourna le regard.

— Tu l’aimes encore, n’est-ce pas ?

— Les Nagas sont des créatures d’une admirable loyauté…

— Et elle ?

— Elle va épouser l’Antéchrist dans quelques jours.

— Au lieu de l’assassiner…

— Elle n’y arrivera pas, puisqu’il exerce sur elle un puissant magnétisme, dont sont dotés tous les membres de la royauté Dracos et Anantas.

— Je comprends ta tristesse, maintenant.

— Elle sait que je suis en train de mourir. Il est tout à fait normal qu’elle se tourne ailleurs.

Les apprentis arrivèrent quelques minutes plus tard en riant. Ils déposèrent devant Cindy une miche de pain, un gigot de mouton et une petite terrine remplie de yaourt à l’ail.

— Merci. Vous êtes vraiment gentils de vous donner tout ce mal pour moi.

— Maintenant, pourrait-on savoir ce qui a déclenché cette hilarité ? demanda Thierry.

— Nous raffinons nos méthodes afin d’éviter de recourir à la violence, répondit Darrell en s’efforçant de rester sérieux.

Mais l’éclat de rire de son frère alarma davantage le mentor.

— Cette explication est insuffisante, les avertit-il.

— L’un de nous approche les nomades assis au bord du feu et se fait passer pour ce qu’il n’est pas, pendant que l’autre s’empare du butin, ajouta Darrell. Alors, tout à l’heure, Neil leur a dit qu’il était le prophète disparu dans le désert et qu’il cherchait ses disciples.

L’expression de Cindy se durcit aussitôt.

— Ils ne savaient plus s’ils devaient appeler l’armée ou m’aider à me rendre à Jéricho, jusqu’à ce que je m’enfonce dans le sol sous leurs yeux, ajouta Neil en riant.

— Vous n’avez pas le droit de faire ça ! explosa finalement la jeune femme. Ces gens vont raconter ce qu’ils ont vu aux médias et ils vont semer la panique parmi les croyants du monde entier.

Elle prit la nourriture et alla s’installer dans un autre bâtiment pour manger.

— Nous voulions seulement nous amuser un peu, s’excusa Darrell.

— Je sais, soupira Thierry, mais rappelez-vous qu’elle a un lien privilégié avec ce Naga et faites preuve de plus de respect devant elle.

— Oui, maître, firent en chœur les jumeaux.

Ils prirent place de chaque côté de leur mentor, s’appuyant le dos contre la pierre fraîche.

— Est-ce qu’elle participera à notre pratique, ce soir ? voulut savoir Neil.

— Elle n’a jamais appris à manier le sabre, alors elle risquerait de vous blesser, s’opposa Thierry.

— Mais elle a tué tous ces soldats…

— Par instinct de survie, Neil. Elle a uniquement réveillé en elle sa programmation Naga. Elle n’avait aucune idée de ce qu’elle était en train de faire.

— Notre facilité à manier les armes nous vient-elle de notre sang Pléiadien ou de notre sang Dracos ? s’enquit Darrell.

— Les Pléiadiens sont des pacifistes, comme vous l’avez constaté par vous-mêmes au Canada lorsque vous avez séjourné dans l’une de leurs montagnes.

— Dracos, donc, raisonna Neil. Et si les Brasskins sont les ancêtres des Dracos, ils doivent avoir une fibre guerrière quelque part. Feront-ils éventuellement partie de nos cibles ?

— Seulement s’ils essaient d’imposer leur domination sur Terre. Pour l’instant, ce sont les plus discrets de tous les reptiliens.

— Dois-je te rappeler qu’ils viennent d’enlever un Naga ?

— Nous ne savons pas encore pourquoi, alors ne sautons pas aux conclusions. Le soleil commence à se coucher. Allez donc pratiquer vos katas pour vous changer les idées.

Neil fut le premier à bondir sur ses pieds, et Darrell le suivit dehors avec son enthousiasme habituel. Thierry ne souvenait pas d’avoir été aussi grouillant à leur âge. Il ferma les yeux et décida de profiter de ces quelques minutes de tranquillité pour méditer.

Au lieu de s’entraîner près de la fontaine comme ils avaient l’habitude de le faire, les jeunes Nagas allèrent plutôt se poster près du mur le plus éloigné, pour que leur maître ne les entende pas et firent attention à ne pas élever la voix.

— Si cette femme est vraiment une Naga, nous allons pouvoir préparer l’antidote, chuchota Neil. Théo a-t-il découvert les autres ingrédients que nous avons cachés ?

— Non. J’ai vérifié ce matin.

— Tout ce qu’il nous reste à faire, c’est de prélever un peu du sang de Cindy, de le mélanger avec ces ingrédients et de l’injecter à Théo.

— Crois-tu qu’il sera d’accord ?

— Je n’ai pas l’intention de le lui demander.

— Il sera très fâché…

— Mais il sera guéri.

Les apprentis réchauffèrent leurs muscles comme le leur avait demandé leur maître, puis exécutèrent tous leurs katas avec adresse. De la fenêtre de son abri, Cindy les observa en mâchant la viande desséchée. Mais elle avait si faim qu’elle aurait mangé n’importe quoi. « Si je suis comme eux, je devrais être capable de faire ce qu’ils font », se dit-elle.

Thierry rejoignit les jeunes dès que le soleil eut disparut derrière la falaise. La différence de température entre le jour et la nuit, dans cet endroit, était remarquable. Revigoré par la fraîcheur du vent, le mentor prit place au bord du bassin et assista aux exercices de ses protégés en les encourageant, en les corrigeant et en les félicitant. Cindy n’eut aucun mal à imaginer que les jumeaux puissent tuer un adversaire sans que ce dernier ne les voie venir. Ils étaient rapides comme l’éclair, et leurs coups étaient puissants. « Pourquoi n’ai-je pas été enlevée quand j’étais petite pour être formée comme eux ? » se demanda-t-elle.

Dès que l’obscurité fut complète, Thierry mit fin au duel et réintégra le bâtiment sans presser Cindy d’en faire autant. Si elle voulait dormir dans la pièce voisine, c’était son choix. Il fit tout de même déposer une couverture à l’entrée de ses quartiers par l’un des jumeaux, puis s’installa pour la nuit.

Neil et Darrell attendirent patiemment qu’ils s’endorment tous les deux, puis traversèrent le mur entre les deux pièces. Cindy dormait, enroulée dans sa couverture. Neil montra à son frère que la seringue était prête à recevoir le sang de la jeune femme. Darrell s’installa donc derrière elle et attendit le signal pour l’immobiliser. Neil déposa ses genoux de chaque côté des jambes de Cindy et fit signe à son jumeau de lui maintenir les épaules au sol. La pression qu’exerça Darrell sortit brusquement l’ex-agente du beau rêve qu’elle était en train de faire. Dans le noir, elle vit l’apprenti au-dessus d’elle et crut qu’il voulait la violer.

— Laissez-moi ! cria-t-elle.

Darrell mit sa main sur sa bouche. Alors qu’elle commençait à lui mordre la paume, elle sentit le pincement de l’aiguille qui s’enfonçait dans son bras. D’un seul coup, sa vision se modifia entièrement et elle vit le Naga aussi clairement que s’il avait fait jour.

— Darrell, lâche-la ! ordonna Neil en reculant.

Sous leurs yeux, Cindy venait de se métamorphoser entièrement.

— Que se passe-t-il, ici ? tonna Thierry en émergeant du mur.

Il s’arrêta net en arrivant devant un Naga en position d’attaque, qui n’était pas l’un de ses apprentis.

— C’est Cindy, l’informa Darrell.

Pour pouvoir l’approcher, le varan se transforma lui aussi. Il ne savait pas si elle comprendrait ses paroles, mais il lui siffla tout de même des mots apaisants et réussit même à prendre sa main et à la ramener en position assise. Cindy reprit sa forme humaine en tremblant de tous ses membres, et Thierry l’imita.

— Maintenant que tout le monde s’est calmé, vous allez m’expliquer ce qui s’est passé, exigea le mentor.

— Nous ne voulions lui prendre qu’un peu de sang, fit Darrell.

— Pourquoi ?

Les jumeaux gardèrent un silence coupable.

— Qu’est-ce que vous voulez faire de mon sang ? se fâcha Cindy.

— Tout doux, recommanda Thierry, qui ne voulait pas passer la nuit à la détendre.

— Il y a quelque temps, quand nous étions encore dans le temple de Jérusalem, tu nous as dit que certains ingrédients devaient être mélangés afin de fabriquer l’antidote qui te sauverait la vie, avoua Neil. Alors, nous t’avons fait parler pendant ton sommeil.

— Vous avez fait quoi ?

— Nous avons utilisé notre pouvoir de persuasion parce que tu ne voulais pas nous donner l’information que nous cherchions.

— Les apprentis n’ont pas le droit de soutirer des informations à leur mentor, surtout de cette façon, les sermonna Thierry.

— Jamais nous ne l’aurions fait, si tu n’avais pas été en train de mourir, se défendit Neil.

— Tu nous as dit que rien ne pourrait empêcher ta mort, car il n’existait pas de femelle Naga, renchérit Darrell, mais nous nous sommes accrochés à l’espoir que tu te trompais et qu’il y en avait au moins une quelque part.

— Nous avons trouvé tous les autres ingrédients dans les marchés et les pharmacies de la ville, et nous les avons précieusement conservés, au cas où.

Thierry n’en croyait pas ses oreilles.

— Vous vous êtes donnés tout ce mal pour un contrepoison qui n’a, de toute évidence, jamais fait ses preuves ?

— Nous tenons à toi, Théo, s’étrangla Darrell.

— Il aurait été beaucoup plus intelligent de m’en parler au lieu de m’agresser dans mon sommeil, leur reprocha Cindy. Je vous aurais volontairement donné du sang si vous me l’aviez demandé.

Les jeunes Nagas baissèrent la tête, repentants.

— Avez-vous besoin d’autre chose pour concocter cette potion ? soupira-t-elle, émue par leur loyauté.

— Nous avons tout ce qu’il nous faut, mais il faut agir tandis que le sang est encore chaud, les pressa Neil.

— Et si cette petite expérience devait me tuer ? fit Thierry, sans pour autant manifester de la crainte.

— Nous aurions au moins tenté quelque chose, répliqua Darrell, les yeux embués par les larmes.

— Viens, Darrell. Nous n’avons pas de temps à perdre.

— Je veux participer, moi aussi ! s’exclama Cindy.

Ils sortirent tous les trois dans la cour, laissant Thierry seul dans le noir.

— Et moi, là-dedans ? plaisanta-t-il.

Il retourna se coucher dans la pièce où il avait abandonné ses couvertures et essaya de se rappeler la formule de cet antidote, qui faisait partie des souvenirs d’un Dracos dont Silvère avait avalé la glande. Il y avait à présent tellement d’informations dans sa tête qu’il avait du mal à trouver ce qu’il cherchait.

Pendant ce temps, au bord de la fontaine, les jeunes s’affairaient. Neil avait naturellement pris en main les préparatifs, car il avait un tempérament de leader. Il fit broyer tous les ingrédients par Cindy et Darrell et les mesura avec soin grâce à de petites cuillères graduées qu’il avait « empruntées » dans une pharmacie. Il déposa le tout dans un bol en grès, ajouta la quantité d’eau requise, puis prit une profonde inspiration avant d’y faire couler le sang de la femme Naga. Le mélange tourna aussitôt au rouge et se mit à briller dans le noir.

— On ne pourra pas le perdre, en tout cas, laissa échapper Cindy.

Les garçons lui décochèrent un regard découragé.

— Il faut lui administrer la moitié de la dose maintenant, et si elle n’a eu aucun effet dans une heure, il faudra lui donner le reste, indiqua Neil.

Ils s’empressèrent de rejoindre Thierry, qui les attendait couché sur le dos, sans manifester le moindre signe d’appréhension.

— La seule chose qu’on ignore, fit Darrell, c’est si nous devons t’injecter le contrepoison sous ta forme humaine ou sous ta forme reptilienne.

— C’est mon corps de Naga qui est en train de mourir et d’entraîner mon autre corps avec lui, expliqua le mentor.

Il se transforma pendant que les apprentis s’agenouillaient de chaque côté de lui. Neil tira le liquide dans la seringue et fronça les sourcils.

— L’aiguille ne traversera jamais ta peau de reptilien, se découragea-t-il.

— Certains endroits sont plus sensibles que d’autres, le renseigna Thierry, comme l’œil et l’intérieur de l’oreille, Mais le mieux, je pense, serait de l’introduire directement dans les plaies sur mes épaules, car ces blessures ne se sont jamais tout à fait refermées.

— Es-tu prêt, Théo ?

— Si je devais mourir ce soir, occupez-vous de Cindy, d’accord ?

La jeune femme avait choisi de s’asseoir à ses pieds. Silencieusement, elle se mit à prier pour son rétablissement complet et pour le retour de Cael.

Contrairement à Darrell, Neil ne se posait pas de questions une fois qu’il avait décidé de faire quelque chose. Il dégagea donc l’épaule droite de Thierry et y planta la seringue sans plus de façons. Le varan se crispa, mais ne se débattit pas. Au début, rien ne se produisit, puis il se mit à trembler violemment.

— Que fait-on ? s’énerva Darrell.

— On ne fait rien, à moins de le voir se blesser.

Il était évident que le Naga faisait des efforts surhumains pour ne pas hurler de douleur.

— Peux-tu lever tes bras ? s’impatienta Neil.

Thierry arriva à peine à remuer les doigts.

— Le reste…, supplia-t-il entre ses dents.

Neil dépouilla son épaule gauche et y fit la même opération. Thierry poussa un grondement rauque qui fit reculer Cindy jusqu’au mur derrière elle.

— Il souffre beaucoup, se troubla Darrell.

— Nous ne pouvons rien faire de plus, répliqua son frère.

Pris de convulsions, Thierry planta ses griffes dans la pierre. C’est alors qu’un nauséabond liquide noir se mit à couler de ses plaies. Le premier réflexe de Darrell fut de saisir une couverture pour l’essuyer.

— N’y touche pas ! s’écria son frère en le repoussant.

— Ce n’est pas son sang, au moins ? voulut savoir Cindy.

— Non, affirma Neil. Le sang des Nagas est aussi rouge que celui des humains.

Lorsqu’il ne s’échappa plus de poison des écailles vert pâle du varan, Neil demanda à son frère de l’aider à lui enlever ses vêtements, en faisant bien attention de ne pas toucher aux pans souillés de poison. Il alla ensuite les jeter dehors et revint veiller son mentor.

Les tremblements de celui-ci ne cessèrent qu’au matin. C’est également à ce moment-là qu’ils constatèrent que les blessures sur ses bras avaient complètement disparu. Thierry se leva en chancelant sur ses jambes et fit un pas vers la sortie. Ses apprentis se précipitèrent pour l’aider à marcher jusqu’à la fontaine, dans laquelle il se laissa tomber tête première.

— Ne le laissez pas se noyer ! s’exclama Cindy, qui les avait suivis.

— Les Nagas sont de puissants nageurs, la rassura Darrell. Ils peuvent passer beaucoup de temps sous l’eau avant de venir respirer à la surface.

— Il va être frigorifié lorsqu’il sortira de là.

— Et il n’a plus de vêtements…

— Nous l’envelopperons dans une couverture jusqu’à ce que nous lui en trouvions d’autres, trancha Neil.

Ils ne pressèrent pas leur maître et attendirent patiemment qu’il sorte de la fontaine par lui-même et qu’il prenne place sur le parapet, dans un état presque comateux. Le laissant sous la surveillance de Cindy, les apprentis quittèrent alors le monastère pour aller chercher des vêtements et de la nourriture.

Thierry conserva sa forme reptilienne jusqu’à ce que le soleil ait séché toutes ses écailles. Assise à quelques pas de lui, l’ex-agente l’examinait attentivement. Au bout d’un moment, elle constata qu’elle n’éprouvait plus la moindre frayeur. Le fait que les Nagas se nourrissaient surtout du sang des Dracos y était sûrement pour quelque chose. « Je suis comme lui, en réalité », s’attrista-t-elle.

Lorsqu’il reprit finalement son apparence humaine, le varan était nu comme un ver. Cindy s’empressa d’aller lui chercher une couverture, dans laquelle il s’enroula.

— Où sont les garçons ? demanda-t-il d’une voix faible.

— Ils sont partis à la chasse. Tu as besoin de te reposer.

« Moi aussi, d’ailleurs », songea-t-elle. Elle le ramena dans le bâtiment et l’aida à se coucher sur le sol encore frais, puis s’allongea près de lui pour lui fournir un peu de chaleur.

— Comment te sens-tu ?

— On dirait que tout un chargement de briques m’est tombé sur le corps.

— Que puis-je faire pour t’aider ?

— Je n’en sais rien. Même si, anatomiquement, mes deux corps ne sont pas reliés, ce qui affecte l’un d’eux afflige également l’autre. Mon organisme Naga a été plutôt malmené cette nuit. Mes muscles mettront du temps à redevenir normaux.

— Peut-on masser des muscles reptiliens ?

— À ma connaissance, personne n’a jamais essayé, probablement parce qu’ils sont durs comme de l’acier.

— Retourne-toi sur le ventre.

Même ce mouvement pourtant très simple le fit souffrir. Si elle ne pouvait rien faire pour soulager le Naga en lui, Cindy pouvait au moins dénouer les nœuds dans son dos d’humain.

— Est-ce que ça fait mal ?

— Juste un peu.

Elle appliqua moins de pression sur ses épaules.

— Que va-t-il m’arriver, maintenant ? se troubla-t-elle.

— La vie est une série de choix, Cindy. Tu peux rester avec nous et apprendre ce qu’est la vie d’un Naga. Tu peux aussi retourner à Jérusalem, où, si j’en crois ce que m’ont rapporté les jumeaux, tu seras arrêtée. Peut-être pourrais-tu demander asile à la base de l’ANGE de la région, ou encore partir à la recherche de Madden.

— Mais lorsqu’on est reptilien, a-t-on vraiment tous ces choix ?

— Pas quand on est un Naga. Notre conditionnement ne nous permet pas de vivre une vie normale. Une force plus grande que notre volonté nous pousse à éliminer les usurpateurs et les criminels que sont les Dracos. C’est notre seul but dans la vie.

— Et l’amour ?

— Je suis de plus en plus porté à croire que les généticiens ont oublié ces chromosomes en nous créant.

— Est-ce que j’ai moi aussi été conçue dans une éprouvette ?

— Il n’y a aucune autre manière de concevoir un Naga.

— S’ils sont de grands savants, ils ont dû s’apercevoir que j’étais une fille, non ?

— Théoriquement oui, à moins qu’une erreur se soit glissée et qu’ils ne l’aient réalisé qu’à ta naissance.

— Je suis donc une erreur…

— Ce n’est pas ce que je voulais dire, je ne suis pas toujours très habile avec les mots en français. En fait, si j’apprenais à me taire comme me l’a si souvent recommandé mon mentor, j’aurais beaucoup moins d’ennuis.

— As-tu appris à parler beaucoup de langues ?

— Plus d’une vingtaine, dont deux n’existent même plus. Un traqueur travaille seul et il doit pouvoir se débrouiller n’importe où dans le monde.

— Il est trop tard pour moi, n’est-ce pas ?

— Les futurs varans commencent leur entraînement à l’adolescence. Mais il y a apparemment sur la planète quelques rejets qui se sont formés eux-mêmes et qui sont devenus de formidables guerriers. J’en ai rencontré plusieurs chez la mère d’Océane.

— Je suis un rejet ?

— Là, c’est fini, je me tais.

Elle lui arracha une plainte sourde en pétrissant le bas de son dos.

— Ces rejets éprouvent-ils eux aussi le besoin d’éliminer des Dracos ?

— Oui, même s’ils sont bien souvent incapables de les traquer, parce qu’il leur manque le gène du varan. J’en connais qui sont devenus des mercenaires à la solde de n’importe quel gouvernement prêt à financer une expédition contre des États totalitaires dirigés par un prince ou un roi serpent.

— Comment pourrais-je savoir si je possède ce gène ?

— Il faudrait que tu subisses un test d’ADN dans une des bases des Pléiadiens.

— Pourrais-tu m’indiquer où elles se trouvent ?

— Je ne les connais pas toutes, car il y en a au moins une cinquantaine, mais je sais qu’il y a en a dans les montagnes du Tibet, dans les Vosges en France, près de la maison d’Andromède au Québec et dans les volcans au nord de la Californie. Les deux dernières sont des pouponnières, mais les autres possèdent aussi des laboratoires.

— Si jamais nous arrivons à survivre à la fin du monde, m’emmèneras-tu les voir pour que j’en aie le cœur net ?

— Je t’en fais la promesse.

Elle se coucha sur son dos pour le tenir bien au chaud jusqu’au retour des jeunes Nagas, puis s’endormit. Thierry mit plus de temps à s’assoupir, car le contact de la peau de Cindy faisait remonter de lointains souvenirs dans sa mémoire. La seule femme avec laquelle il avait connu ce genre d’intimité allait épouser un Anantas…

Neil et Darrell revinrent en début d’après-midi avec des vêtements et de la nourriture. L’ouïe désormais plus fine de Cindy capta le bruissement de leur passage de la pierre à l’air libre. Elle quitta le dos de Thierry et le réchauffa plutôt avec la couverture, pour que les apprentis ne se fassent pas de fausses idées. Ces derniers entrèrent dans la pièce et déposèrent leur butin.

— Comment va-t-il ? s’inquiéta Darrell.

— Je crois qu’il va s’en sortir, affirma Cindy.

Ils mangèrent et attendant que leur mentor se réveille de lui-même, ce qu’il fit à la fin de la journée. Les jeunes Nagas se réjouirent aussitôt de voir briller de santé ses yeux bleus. Thierry enfila la tunique en toile que les jumeaux lui avaient trouvée et mangea avec appétit la viande et les fruits qu’ils avaient dérobés dans un campement, à des kilomètres du monastère.

— Il y a des soldats partout, leur apprit Darrell.

— Je crains qu’ils ne finissent par arriver ici.

— Si jamais cela devait être le cas, il n’est pas question de les recevoir à coups de sabre, les avertit le mentor. Nous pénétrerons dans la pierre et attendrons qu’ils partent.

— Avez-vous des nouvelles de Cael ? s’informa Cindy. L’a-t-on retrouvé ?

— À mon avis, il n’y aurait pas autant de militaires dans le désert s’ils avaient déjà mis la main sur lui, raisonna Neil. Mais j’ai pensé à une façon de savoir s’il est encore en vie.

Thierry fronça les sourcils avec méfiance, car les initiatives de ses apprentis ne se soldaient pas toujours par des résultats heureux.

— Avec la permission de mon maître, précisa Neil, je vais lancer l’appel que l’on peut faire à un autre Naga dans le sol, et voir s’il me répondra.

— Il est peut-être dans un autre pays, à l’heure qu’il est, protesta la jeune femme.

— Dans ce cas, ce sera le silence.

Thierry n’y vit aucun inconvénient, à condition que le cri soit émis dans le sous-sol, de façon à ne pas attirer inutilement les curieux jusqu’à leur cachette. Alors, une fois le repas achevé, Neil se transforma en reptilien et plongea dans le plancher. Les oreilles sensibles des Nagas, même sous leur forme humaine, entendirent un faible son, mais dans la terre, l’appel résonna jusqu’aux confins d’Israël. Cindy attendit le retour de l’apprenti en se tordant les doigts d’inquiétude. Neil émergea enfin du sol et se métamorphosa aussitôt, un large sourire sur le visage.

— Il est vivant, mais il n’est pas libre de ses mouvements, annonça-t-il.

— A-t-il besoin d’être délivré ? s’enquit Thierry.

— Il affirme que non.

— C’est donc qu’il a un plan, comprit le mentor, et il sait qu’il y a d’autres Nagas dans les environs. Je suggère que nous nous restions à l’écoute de tout signal qu’il pourrait nous transmettre.

— Merci, répondit Cindy.

— Es-tu au courant de son tableau de chasse ? la pressa Neil en s’asseyant avec le trio.

— Jusqu’à ce que j’arrive ici, je croyais qu’il comptait uniquement des âmes, avoua-elle. C’est à lui qu’il faudra poser la question.

— J’ai bien hâte de le rencontrer.

Thierry pensait la même chose, mais n’en dit rien. Pour l’instant, il se contentait de savourer la nouvelle vigueur de ses muscles.

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